Bertrand Russel appelle à la formation d’une Cour internationale, à la manière dont le grand jury introduit une mise en accusation, pour faire connaître et dénoncer les crimes de guerre des américains au Vietnam. La cour n’aura ni le pouvoir de juger les accusés, ni le pouvoir de leur faire infliger un châtiment. Elle ne sera le porte-parole d’aucun gouvernement. La procédure des débats auxquels elle présidera ne sera pas contradictoire puisque les accusés n’y auront pas les moyens d’organiser normalement leur défense. L’action dont elle sera le centre ne sera donc pas un procès au sens plein. La cour fera avant tout figure de commissions internationale d’enquêtes. Les travaux de la Cour dureront 12 semaines et seront publiés. Bertand Russel déclare qu’il faut une mobilisation mondiale de l’opinion pour arrêter les atrocités qui se multiplient au Vietnam. Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir représenteront la France à cette Cour.

L’Amérique est malade du régime présidentiel de Johnson qui se met progressivement en place malgré son échec aux élections. Si on assiste à une remontée impressionnante du parti républicain il n’en demeure pas moins que le relais présidentiel entre le peuple et le gouvernement est grippé. Malgré les pertes subies par les démocrates, Johnson reste « Maître du Congrès » et n’a pas de réflexion politique. Il se borne à appliquer les recettes qui lui sont fournies par l’administration. Pourtant lors d’un référendum organisé dans un faubourg populaire sur le maintien ou non du corps expéditionnaire U.S. au Vietnam, 19 000 électeurs se sont prononcés pour le maintien contre 13 000 contre. C’est là une proportion inespérée compte tenu de la désinformation organisée sur le sujet par le gouvernement. Cette partie de l’opinion seule, abandonnée par toutes les puissances politiques constituées, pense déjà à un contre-courant.

La presse américaine ne cache pas qu’une nouvelle étape de l’escalade dans la guerre du Vietnam pourrait être franchie après les élections de novembre. Il existe des plans pour un franchissement du 17ème parallèle et pour le débarquement de plusieurs divisions américaines au Vietnam du Nord. Le véritable problème qui est posé est celui de tout faire pour desserrer l’étau qui étouffe le peuple vietnamien et de tout faire pour empêcher l’élargissement de la guerre au Cambodge, au Laos et à la Chine. Il est par conséquent nécessaire que l’opinion de gauche en France se mobilise pour manifester sa solidarité au peuple vietnamien et son approbation de sa lutte de libération nationale. Jusqu’ici l’escalade du gouvernement américain a pu avoir lieu parce que tout se passait dans une atmosphère d’indifférence et de passivité. Il faut qu’il sache que désormais toute poursuite lui coûtera cher tant sur le plan matériel que sur le plan politique.

La force américaine contre le Vietnam devient folle et atteint un degré de menace de plus en plus dangereux pour le monde.  L’ancien Président Eisenhower conseille d’utiliser la force atomique pour en finir avec le Vietnam. La négociation de la paix se ferait sous la menace atomique. Eisenhower propose de pousser jusqu’au bout le pari que les Etats-Unis ont déjà perdu, mais c’est sans compter sur la volonté des vietnamiens de se battre envers et contre tout. Les Etats-Unis n’ont pas compris que le Vietnam n’était pas le Japon. Les Vietnamiens ne veulent pas dominer le monde mais leur seul destin. Si l’opinion américaine n’arrive pas à échapper au vertige de la force devenue folle, l’opinion mondiale, elle, prend conscience des dangers de la poursuite de la guerre. Le pape, le secrétaire général de l’O.N.U., les Chinois ont bien compris que ce n’est plus une guerre locale. Les élections organisées par les Etats-Unis ne sont qu’une farce de plus et un coup pour rien.