Les entreprises, acteurs politiques : enjeux pour la démocratie

Mots-clés : Contrôle populaire, Démocratie sociale, Économie sociale, Mondialisation

1er février 2017 • Michel Capron

Les entreprises, en particulier les multinationales sont de plus en plus des acteurs politiques sans pour autant être au coeur des débats politiques sur l’avenir de la démocratie. Ces entreprises ont développé un méta-pouvoir. De grandes entreprises n’hésitent pas à dire qu’en l’absence d’une gouvernance interétatique mondiale, la survie de la planète dépend de leurs actions volontaires.

Certains cercles universitaires estiment que l’investissement de la sphère politique par les entreprises est une conséquence inévitable du processus de mondialisation/libéralisation des échanges ; (notamment dans le cas d’Etat défaillant), elles auraient acquis la légitimité de participer à tous les processus de prise de décisions publiques, voire de gouverner le monde.
La résignation semble gagner les milieux critiques. L’affaiblissement du politique et des moyens de l’Etat leur donnent, en apparence, raison, mais faut-il se résigner à ce que les autorités publiques (nationales et internationales) soient les accompagnateurs de décisions prises en dehors de toute instance démocratique reconnue comme telle ? La puissance publique a-t-elle encore la volonté et les moyens d’encadrer les activités économiques et de limiter leurs effets les plus dévastateurs ou bien n’en est-elle que l’auxiliaire ? Comment l’intervention citoyenne peut-elle constituer un contrepoids et quels sont les acteurs de la société civile ayant la légitimité d’exercer un contrôle sur les entreprises ?

Rencontre avec Michel CAPRON

Michel Capron observe que les multinationales qui façonnent modes de production et modes vie ne sont pas confrontées à de véritables contre pouvoirs permanents. Certes, depuis longtemps elles jouent un rôle politique important. Mais aujourd’hui elles revendiquent ouvertement un rôle dans le règlement des problèmes de la planète : elles ont des idées sur un nouvel ordre international, veulent fixer les modalités et les limites du contrôle des pouvoirs publics, considèrent qu’elles représentent l’intérêt général. Ces points de vue sont largement partagés, présentés comme une conséquence inéluctable de la mondialisation : l’ONU admet la Chambre International du Commerce au titre d’ONG !
Agir contre cette situation suppose de bien analyser le phénomène, d’engager la bataille sur le plan des idées, de développer des contre-pouvoirs et des contrôles, de s’appuyer éventuellement sur des administrateurs indépendants dans les sociétés anonymes.

Michel CAPRON, professeur émérite des Universités en sciences de gestion, co-auteur (avec F. Quairel) de L’entreprise dans la société. Une question politique (La Découverte, 2015)

 

Multinationales et démocratie

Mots-clés : démocratie économique

1er Février 2017 • Olivier Petitjean

Multinationales et démocratie sont deux termes antinomiques comme le démontre la rencontre débat organisée par l’Institut Tribune Socialiste le 1er Février 2017. Une rencontre entre Michel Capron, Gérard Duménil et Olivier Petitjean.

Olivier Petitjean est co-fondateur et responsable de l’Observatoire des multinationales, site indépendant d’information et d’investigation consacré aux grandes entreprises françaises.

Si, globalement, on ne peut pas dire que les multinationales veulent prendre le pouvoir politique, il n’en reste pas moins qu’elles entendent bien que le pouvoir politique ne gêne pas le pouvoir économique. Dans les faits, soit que l’Etat réduise délibérément  ses possibilités de manoeuvre, soit que les multinationales jouant sur leur extraterritorialité échappent aux règles nationales, l’appareil démocratique formel traditionnel continue à exister, mais il est vidé de sa substance dans la mesure où les discussions se prennent dans d’autres lieux et dans d’autres circuits.

La démocratie économique est le point faible de nos systèmes démocratiques, qu’il s’agisse de la démocratie dans l’entreprise, du pluralisme des entreprises, des discussions sur les grands projets d’infrastructures et des choix de modèles de société, de développement.

Les entreprises, acteurs politiques – les multinationales des cadres

Mots-clés : classes sociales, Économie mondiale, Économie politique, Mondialisation

1er février 2017 • Gérard Duménil

Les entreprises et plus particulièrement les multinationales sont devenues aujourd’hui des acteurs politiques qui participent à la concentration des pouvoirs économiques et politiques mondiaux.

Rencontre avec Gérard Duménil

Gérard Duménil, économiste, a travaillé avec Dominique Lévy à partir d’une gigantesque base de données mondiales prenant en compte les sociétés transnationales et les sociétés qui, d’une façon ou d’une autre y sont rattachées. Il constate que le pouvoir économique est concentré dans une pelote d’institutions financières qui se possèdent mutuellement et entre lesquelles il n’y a pas finalement concurrence. Ces institutions sont certes le lieu de la propriété du capital, mais en fait leur gestion  est dans les mains des très hauts cadres de ces sociétés : ils imposent leur discipline au plan mondial, définissent les critères de rentabilité, sont les policiers du système.

Dans les années 80 une mutation considérable s’est produite avec le renforcement du pouvoir de contrôle des institutions financières (notamment sur les institutions non financières). Aujourd’hui les inégalités  sont principalement des inégalités de salaires (qui ont cru de façon spectaculaire). Les très hauts cadres constituent une véritable internationale, exercent le vrai pouvoir économique dans le monde, et peuvent s’appuyer sur des relais gouvernementaux.

Gérard DUMÉNIL : économiste, ancien directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique, membre du Comité de rédaction de la  Revue Actuel Marx, co-auteur (avec D. Lévy) de La grande bifurcation.  (La Découverte, 2014).

La souveraineté populaire est-elle possible ? La question du populisme (1)

Mots-clés : Néolibéralisme

25 Janvier 2017  • Chantal Mouffe

La souveraineté populaire est-elle possible ? La démocratie est maintenant revendiquée haut et fort par la quasi totalité des courants politiques. Pourtant, on ne cesse de parler de l’approfondissement de la « crise démocratique » et la distance entre les citoyen(e)s et les élus s’accroît sans cesse. Quelles sont les raisons de cette situation ? Comment redonner un contenu à la notion de souveraineté populaire et au mot « démocratie » dont on ne sait plus aujourd’hui ce qu’il recouvre réellement ? Le populisme est-il la réponse à cette situation ?

Rencontre-débat organisée par la Fondation Copernic, la Fondation Gabriel Péri et l’Institut Tribune Socialiste  dans le cadre de leur séminaire commun : « Qu’est-ce qui fait débat à gauche aujourd’hui ? »

Chantal MOUFFE constate que l’idée de souveraineté populaire, qui avait été déclarée obsolète à l’âge de la mondialisation, fait un retour en force dans les discours qu’on dit populistes, tant de droite (Brexit, Trump, Le Pen…) que de gauche (Sanders, Podemos, Mouvement 5 étoiles…). Pourquoi ?

Parce qu’il s’agit d’une manifestation de résistance face à la situation post-démocratique qui est le produit de trente ans d’hégémonie néo-libérale : la tension entre la tradition démocratique (souveraineté populaire, défense de l’égalité) et la tradition politique libérale (défense de l’État de droit, séparation des pouvoirs, défense des libertés) n’existe plus : tout ce qui a à voir avec la tradition démocratique a disparu. D’où une situation de « consensus » (il n’y a pas d’alternative à la globalisation néo-libérale), et dans le même temps un processus d’oligarchisation des sociétés (accroissement et concentration des inégalités).

Le moment populiste est l’expression d’une réaction contre le moment post-démocratique, un appel pour redonner un caractère démocratique à nos sociétés, refuser la liquidation des souverainetés par le néo-libéralisme.

Les populismes se construisent différemment. Le populisme de droite est construit comme une communauté nationale et sans volonté d’égalité. Le populisme de gauche a pour objectif de fédérer toute une série de demandes démocratiques, diverses, hétérogènes, afin de promouvoir l’égalité et de radicaliser la démocratie ; il est pluraliste, repose sur des chaînes d’équivalences, suppose des affects communs symbolisant non l’identité mais l’unité.

La seule façon de lutter contre le populisme de droite, c’est un populisme de gauche.

Chantal MOUFFE est philosophe. Sa réflexion s’articule notamment autour de l’idée de « démocratie radicale ». Elle a publié récemment : L’illusion du consensus (Albin Michel)

 

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